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Le Véganisme – Bien plus qu’un régime alimentaire

« assommeurs, accrocheurs, pendeurs, saigneurs, décapiteurs, fendeurs, casseurs de pattes, scieurs de sternums et de croupes, séparateurs de crépine, abatteurs, dépouilleurs, découpeurs, trempeurs, écorcheurs, éviscérateurs, plumeurs. – Partout dans cet enchevêtrement de bâtiments […] de mort, de démembrement et de disparition intégrale pour d’inoffensives créatures, douces et dociles, fougueuses, sauvages – l’Enfer. »

Tillie Olsen


1. « PAR OÙ COMMENCER ? »

Voilà souvent ma pensée lors d’un repas collectif lorsque se révèle mon véganisme et que la question du « pourquoi ? » m’est posée. Je commencerai donc par quelques définitions fondamentales à la compréhension de cette thématique :

  • Spécisme : à l’image du racisme avec la création de la « race » et du sexisme avec la division des genres, le spécisme est un principe, ou comportement, qui prône la supériorité/domination d’une espèce sur une autre, justifiant et banalisant les violences perpétrées à son égard. Ergo la vie d’un animal à une valeur moindre que celle d’une personne humaine. Le « qui » animal dégringole vers le « quoi » si bien qu’il ne devient qu’un simple produit de consommation. Une poule et un coq bien vivants deviennent « du poulet » un cochon et une truie « du porc », une vache « du boeuf », une biche ou un cerf « la chasse » une crevette ou un homard des « fruits de mers ».
  • Végétarisme : régime excluant la consommation alimentaire de chair animale (viande, poisson).
  • Végétalisme : régime excluant la consommation alimentaire de tout produit provenant d’une espèce animale dite sentiente. (Viande, œufs, lait, miel etc.) Il est dépourvu de toute approche intersectionnelle ou anti-spéciste et se justifie plus souvent par des motivations wellness.


2. LES AUTRUCHES NE DOIVENT ÊTRE NI CONSOMMÉES, NI IMITÉES

Si beaucoup de gens en connaissent le principe de base, peu semblent savoir que le véganisme est une thématique multi-facette qui englobe bien des combats de notre société actuelle. Souvent perçu comme une atteinte au plaisir et à la tradition de la consommation de produits d’origine animale – que j’abrégerais dans cet article par les lettres POA – le véganisme est un principe qui bouscule. Il bouscule nos habitudes, nos traditions, nos attaches, notre culture, nos repères, notre confort. Prend parfois un virage à 180° quant à des croyances ou des plaisirs qui nous ont été transmis par nos aïeux et par les très puissants lobbies qui ont construits les fondements de notre alimentation. Il demande parfois à ce que nous transposions un regard actuel sur des situations qui ont pu nous mener à forger des liens avec autrui (cuisine, pêche, chasse etc.) tout en sachant contextualiser et respecter le passé nous ayant amené à ces pratiques.
Parler de véganisme n’est pas toujours une mince affaire. Avec le temps, j’ai appris à analyser la palette de réactions auxquelles j’ai pu faire face lorsque des personnes omnivores se confrontent au sujet. Réactions que je trouve révélatrices. Celles-ci peuvent regrouper des propos défensifs, condescendants, allant de passif-agressif à ouvertement hostile. Ce sont souvent ces personnes qui accusent le véganisme d’être un délire de sentimentaliste – comme si avoir de la compassion pour un être vivant sans le connaître et que l’émotion engendrée par les violences faites à son égard étaient synonyme de faiblesse ou de manque de discernement – alors que la réaction négative de l’interlocuteur.ice.x ne fait que prouver que le sujet n’est pas anodin et qu’il touche.
Je rencontre plus généralement une banalisation par le biais d’une hiérarchisation des problèmes de notre société. On y place la consommation de POA quelque part au bas de l’échelle des « réelles » préoccupations sociales pour lesquelles on dit faire sa part : la pauvreté, le féminisme et l’écologie son ironiquement les sujets les plus cités alors qu’ils sont intimement liés au véganisme à travers leur persécuteur. Puis il y a cette constante minimisation du rôle de l’interlocuteur.ice.x dans la culture occidentale carnée : de toute façon iel se considère comme ne buvant « quasiment » pas de lait, ne mangeant « quasiment » pas – c.à.d ne mangeant qu’un taux éthiquement correct – de viande, ou appréciant d’ailleurs peu la viande. Des termes comme « flexitarien.ne.x » ou « pratiquement végétarien.ne.x » surgissent. Cet esprit se résume parfaitement dans l’extrait suivant de La Politique Sexuelle de la Viande, de Carol J. Adams :

« Ces dix dernières années ont vu nos consciences s’éveiller face aux énormes conséquences environnementales de l’élevage industriel, et à l’impact de ce traitement déshumanisant sur les animaux et sur les individus qui s’en occupent. Pourtant, les consommateurs de chair persistent à croire que leur régime alimentaire est exempt de cruauté. Les personnes qui se nourrissent de viande aiment à s’imaginer qu’elles imitent les adeptes du végétarisme intégral (véganisme) - manger sans cruauté – sans toutefois mettre en pratique le même geste – ne pas consommer de produits d’origine animale. Ainsi les images d’animaux vivant en liberté dans une ferme familiale abondent, bien qu’en réalité la vie des animaux ne ressemble en rien à ces représentations. »

Il y a aussi de l’évitement : le réel désastre écologique se trouverait dans l’empreinte carbone des transports en toute sorte, dit-on. Le plus important est de « manger local » ne surtout pas importer, et « manger équilibré » même si carné. Le concept est flou, mais il calme. Notre conscience devrait plutôt se rediriger sur notre folie technologique, qui appauvrit et exploite d’autres continents etc.

Même si les problématiques citées ont toutes plus ou moins leur degré de validité, j’en suis arrivée à me demander pourquoi, lorsque je parle de véganisme avec des personnes omnivores, et surtout, mais pas seulement, en rapport avec l’urgence climatique, beaucoup d’entre elleux s’excentrent ainsi du sujet pour plutôt s’attarder sur le rapport à la viande d’autrui, favorisant l’utilisation du « on » illustrant le collectif et sociétaire mais maintenant le personnel à distance : « Bientôt on n’aura plus le choix » ou « À l’époque, ma famille mangeait de la viande pour survivre.» « La société finira par tout détruire » « C’est horrible comme on traite les animaux d’élevage ». Ces réflexions sur le passé, autrui, ou l’aspect systémique du « on » son certes intéressantes d’un point de vue anthropologique et il faut y penser, mais mon ressenti est que si la réflexion s’arrête là, elles ne servent qu’à maintenir le « je », le présent, et la question qui gêne dans l’angle mort :

Quel est mon rôle dans tout cela aujourd’hui ?

Pratiquement touxtes mes proches omnivores ont déjà décelé en elleux une dissonance entre leurs valeurs écologiques, leur appréciation pour l’espèce animale (ou même amour pour leur animal de compagnie) – et leur consommation de POA. Il y a parfois de la culpabilité, une envie de faire plus, mais un.e.x conjoint.e.x ne serait pas d’accord, le climat familial ne s’y prête pas et deviendrait tendu, l’espace ou la charge mentale de la personne est déjà trop lourde aussi bien qu’iel ne peut pas, à ce stade de sa vie, se rendre vulnérable à la violence de la thématique dans son entièreté. Je tiens à valider tous ces exemple et je ne porte aucun jugement sur la réalité de ces difficultés. Mais il est néanmoins important de repérer sa propre dissonance cognitive et de ne pas clore le sujet avec une parade de formalités factuellement insensées, j’ai nommé : le « tout en modération… », le « petit producteur… », pour ensuite qualifier le véganisme d’intéressant comme concept philosophique devant être respecté au même titre qu’une croyance religieuse ou spirituelle, alors que celui-ci est on ne peut plus fondé sur des faits dont NOUS sommes et serons touxtes victime.x.s des conséquences. Ou de simplement trop radical car il empêcherait de boire certains vins et manger du fromage.
Ainsi, ce qui se transformait peu à peu en fait lors d’une conversation, redevient une contradiction. Malgré un interlude à l’air libre, les conversations sur le véganisme, commencent et se terminent ainsi : la tête dans le sable.


3. SAVOIR, POUVOIR, LIBERTÉ, MORALITÉ, MOZZARELLA GRATINÉE

Que savons nous aujourd’hui ?

– Nous savons que la violence que nous causons aux différentes espèces animales, à l’environnement et aux populations que nous maintenons dans la précarité économique en exploitant leurs ressources écologiques pour contribuer à nos élevages intensifs, est qualifiable de destructrice. L’agriculture animale est l’une des principales causes d’extinction d’espèces, de zones mortes océaniques, de pollution de l’eau et de destruction d’habitats, y compris les forêts tropicales.

Nous savons que cette destruction est rapide et radicale (plus radicale que le véganisme de 5 % de la population mondiale).

Nous savons que l’étude la plus récente ne présentant pas de conflit d’intérêt, c.à.d qui n’est pas soutenue ou financée par un ou divers lobbies liés à l’agriculture animale, ou dépendant financièrement de ses revenus, démontre que l’agriculture animale est actuellement responsable de 87 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre¹. Un chiffre absolument faramineux ! Pour mieux comprendre ce chiffre controversé voici une interview du Dr. Sailesh Rao, auteur de cette étude https://youtu.be/rSc_51xR8sQ

Nous savons que les déforestations massives effectuées dans le but de nourrir les animaux dont les omnivores se nourriront à leur tour, empêchent l’absorption de CO2 par photosynthèse, contribuent majoritairement au réchauffement climatique, délogent les populations locales et engendrent des disparitions importantes d’espèces animales, spécialement en Amérique du Sud. Il en va de même pour l’extinction progressive des récifs coralliens à travers le monde due à la pêche industrielle. Mais pour que l’échelle des mesures à prendre face à l’urgence climatique reste « flexitarienne », il faut bien que l’échelle végane soit élevée au titre de «trop radicale ». Ainsi est maintenu un équilibre dévastateur.

Nous savons que les animaux forment des liens sociaux et affectifs complexes, ont un système nerveux, ressentent la douleur physique et la détresse émotionnelle. Les animaux d’élevage ou les animaux maltraités exhibent des signes de stress post-traumatique bien réels lorsqu’ils sont recueillis dans des sanctuaires. Ce droit à la respectabilité ne s’étend pas qu’à nos chiennes et chattes, que nous n’imaginerions jamais frapper, manger ou encore inséminer manuellement pour pouvoir abusivement tirer le lait qu’elles sécrètent pour leur progéniture jusqu’à ce qu’elles s’écroulent de fatigue avant d’être abattues. Ceci pour le plaisir de nos glaces, fromages, desserts, boissons et autres.

– Nous savons que le véganisme n’entrave pas la santé physique ou mentale et n’offre pas moins de chances à une alimentation équilibrée si l’on prend soin de substituer la vitamine B12. Problématique qui concerne aussi les omnivores car la stérilisation de nos eaux et sols, entre autres, empêche des bactéries clés à la création de B12 de proliférer. Les personnes omnivores présentent aujourd’hui proportionnellement même plus de carences en B12 que les véganes car iels semblent moins au courant de cet enjeu. Notons que 90 % de la production de compléments de B12 est destinée à nourrir les animaux d’élevages² qui, à cause des enjeux cités plus haut, peinent à produire cette vitamine. Se supplémenter directement en B12 n’est donc pas moins noble que se supplémenter en consommant des POA eux mêmes supplémentés.

– Nous savons que la Suisse importe une partie conséquente de sa viande et de son fourrage (céréales destinées aux animaux d’élevage sur sol suisse). Pour citer un rapport de Greenpeace:

« Les faits montrent que les lobbies de l’agriculture et de la viande enjolivent lourdement la réalité. L’appellation « Viande Suisse » encouragé par de l’argent du contribuable à millions constitue ainsi une tromperie. Car la production de viande dépend très fortement de l’importation de fourrage concentré. La Suisse n’a de loin pas assez de surfaces agricoles pour nourrir tous les animaux de rente qui y habitent. » 

Et si les chiffres de l’OFSP affichent une production céréalière de fourrage indigène annuelle de 480’750 tonnes³ il faut savoir que 16 % du fourrage total utilisé est importé. Et non, il n’y aurait pas de désastre écologique similaire à celui auquel nous faisons face si les humains cessaient leur consommation de POA et mangeaient soudain plus de céréales et légumes. La Suisse s’attelle à nourrir et tuer annuellement 77,5 millions d’animaux⁴ dont l’élevage requiert des taux faramineux d’eau et de céréales, contre 8.5 millions d’habitant.e.x.s. Il n’est pas étonnant qu’un régime végane permette de réduire de moitié son empreinte carbone. Une Suisse végane nécessiterait infiniment moins d’espaces agricoles.

30 baignoires d’eau sont nécessaires à la production d’un steak de 300gr !⁵

Vous et moi savons qu’une majorité écrasante des consommateur.ice.x.s de POA seraient absolument incapables de mettre à mort un animal s’iels avaient à le faire elleux-même, sans urgence ou nécessité de survie. Beaucoup admettent refuser de visionner des vidéos d’exécutions en abattoirs, ou disent avoir même plus de difficulté à voir un animal mourir à la TV plutôt qu’un être humain. Paradoxalement, le respect des traditions et la liberté personnelle sont souvent invoquées dans la rhétorique omnivore. Et je l’admets, consommer des POA relève indéniablement de la liberté personnelle, est un choix légal et démocratisé, mais cela n’en fait pas pour autant un acte moralement acceptable. Notre quotidien regorge d’exemples de choix violents que des individu.e.x.s font chaque jour qui ne sont pas illégaux mais que notre évaluateur interne sait déceler comme immoraux. Comment ? Car ceux-ci engendrent de la souffrance et des victimes. Et si le choix n’est pas sans son degré de privilège, car il n’est pas accessible à tout le monde, pour celleux qui le possèdent, aujourd’hui, consommer des POA c’est faire le choix de la mort et de la violence. Mais nous avons été programmé.e.x.s par la tradition, le libre arbitre et la culture spéciste à banaliser les implications de ces choix. Notre isolation vs. exposition à la réalité de ces violences est d’ailleurs le pilier de leur maintient.
En tant que végane, je n’aurais pas l’hypocrisie de prétendre qu’en situation de vie ou de mort je ne ferais pas le choix de consommer de la chair animale, ou même de la chair humaine. Nous savons que certaines personnes ont du commettre des actes de cannibalisme afin de survivre à des situations extrêmes et loin de moi l’idée de les juger. Cela n’élèverait pas pour autant un cannibalisme traditionnel, démocratisé et systématisé à un principe moralement acceptable.
Si l’on dit aimer les animaux, pourquoi sommes-nous si enclins à fermer les yeux sur leur souffrance ?
Pour un steak ? Pour un peu de parmesan sur nos pâtes ?


4. JE MANGE UNE TOILE D’ARAIGNÉE

Des personnes véganes depuis le depuis du 20ème siècle ont écrit sur le caractère politique et intersectionnel du véganisme. Intersectionnel car les luttes des classes, antispécistes, féministes, antiracistes, écologiques, LGBTQIA+ et anti-validistes répondent à un même système d’oppression, qui par haine ou opportunisme, vise à maintenir le statu quo en préservant un ordre de domination bien précis. En 1907, le mouvement des suffragettes pointait déjà du doigt la violence des consommations de POA. Le véganisme, sous d’autres termes, est d’ailleurs omniprésent à travers l’histoire. De ce point du vue, il n’est pas étonnant qu’un nombre important de personne.x.s véganes appartiennent à une ou plusieurs des minorités citées ci-dessus, ayant compris que le franc succès (c.à.d non superficiel) de ces batailles était intrinsèquement lié. L’intersectionnalité cherche à comprendre les liens entre les violences, à percevoir les schémas répétitifs dans une même histoire, et un même système. L’objectification d’un groupe d’individu.e.x.s dans le but de rendre insensible toute une population aux violences commises à son égard devrait nous rappeler bien des cas de figures, cela a toujours marché historiquement, jusqu’à ce que la minorité violentée et oppressée se manifeste, fasse opposition, et que le reste du monde veuille bien écouter et/ou se positionner en allié.e.x.s. Les animaux n’ont pas de voix à travers la parole. Ils hurlent, se débattent, tremblent, mais face à nos armes et infrastructures d’exploitation et de mise à mort, ils sont démunis.
Prendre conscience de ces liens ne représente pas un raccourci basé sur l’émotionnel (souvent péjorativement ramené à une préoccupation typiquement féminine). Au contraire, briser le statu quo requiert beaucoup de force et de déconstruction, et pour mieux comprendre cette toile de violences systémiques, il suffit de remettre en perspective leur dénominateur commun :

LE CAPITALISME

j’exploite : planète, humains, animaux
appauvris : tout sauf – mais du coup aussi un peu – l’occident
viole : inceste, harcèlement sexuel au travail, culture du viol, inséminations forcées
violente : coups, violences patriarcales, conjugales, familiales, mutilations
tue : féminicides, famillicides, crimes de haine, génocides

non pas parce que je le dois, mais parce que je le peux. Parce que l’être devant moi est plus faible physiquement, a été déshumanisé.e.x, est privé.e.x de capacité de parole, possède quelque chose que je souhaite, pourrait contribuer à mon plaisir, menace mes privilèges, sociaux, financiers. Pour cela je dois le.a démunir et le.a maintenir ainsi démuni.e.x afin de préserver ce droit que tout, depuis des temps immémoriaux, semble m’apprendre que j’ai sur ellui.


5. ÉDUCATION ROSE FRENULUM

Si la mention du viol vous interpelle, comment qualifieriez-vous l’acte d’enfermer un animal dans une pièce illuminée à longueur de temps pour bouleverser son cycle reproductif afin que celui-ci soit constamment en chaleur ? Ou encore d’attacher une femelle pour qu’un mâle puisse venir la féconder sans qu’elle ne s’échappe ? D’introduire un bras ou une seringue dans les parties génitales d’un animal qui n’a pas la capacité de verbaliser son consentement ? Si en Suisse tout acte d’ordre sexuel pratiqué sur un animal dans le cadre privé est répréhensible par la loi, en quoi ces pratiques diffèrent-t-elles ? Parfois dans l’intention ? Parfois dans le résultat ? Est-ce donc moins douloureux ? Plus acceptable ? Les animaux aimeraient-ils secrètement ça ? Allez stop on l’a déjà entendue celle là ! Je vous invite à consulter la liste des Pratiques interdites sur tous les animaux⁶ en Suisse, et à vous métamorphoser avec moi en un point d’interrogation ambulant.

Parler d’anti-spécisme c’est bousculer l’ordre de domination patriarcal sur lequel s’est fondé notre société et ses mœurs alimentaires. Il n’est pas anodin que les réactions les plus hostiles reportées par les personnes véganes surgissent en majorité lors de conversations avec des hommes cisgenres, souvent plus offusqués à l’idée qu’on leur ôte leur droit aux POA, ou que l’on remette ainsi en question la tradition. Il existe dans notre construction, un lien indéniable entre virilité et consommation de chair animale. Je pense au recueil intitulé The Pornography of Meat de Carol J. Adams, dans lequel l’autrice rassemble une montagne d’affiches, posters, menus et autre ou carnivorisme et virilité/sexisme se rencontrent. Et nous ne sommes pas exempts de ce type de propagande en Suisse ou en Europe

Entre féminisation et sexualisation de cadavres… on perpétue l’idée que griller un steak serait plus viril que faire une vinaigrette, ou que le rose n’est une association masculine acceptable que lorsqu’il est synonyme de chair et de sang.


6. « MD. » STANDS FOR MILK AND DIARRHEA

Des théories erronées toujours propagées par divers milieux – notamment celui de la santé et la médecine – qui n’existent pas en dehors de notre hypocentre capitaliste (donc du profit) et ses épicentres racistes, sexistes et patriarcaux, et que nous remettons peu en question car l’image du médecin bienveillant et impartial est fortement ancrée dans l’imaginaire collectif, ont largement contribué à forger l’image phare avec laquelle nous avons touxtes grandit. Celle qui voudrait que consommer des POA serait le fondement de la force corporelle humaine.
Nous savons que les lobbies en liens avec l’agriculture animale financent, donc peuvent orienter, la recherche médicale tout comme l’industrie du tabac le faisait dans les années 50. Souvenez-vous, lorsqu’en alliance avec la médecine, Big Tobbaco markettait diverses cigarettes comme « préférées » par les médecins via des pubs ou ceux-ci annonçaient haut et fort que fumer réduirait les risques de cancer du poumon. Big Tobbaco avait massivement investi dans la recherche contre le cancer avec pour but de mettre en évidence toutes ses autres sources potentielles et avérées. Ayant fait paradoxalement remarquablement avancer la recherche, ils ont pu ainsi noyer le poisson de la tragédie que la cigarette était entrain de causer.
Des personnes véganes reportent ne plus vouloir aller chez le.a médecin car le moindre pépin de santé est paresseusement associé à leur véganisme. Une carence occasionnelle et héréditaire en fer que l’on a pu avoir en tant qu’omnivore se retrouve après des années de véganisme blâmée pour cause de celui-ci, alors qu’elle est similaire, voir moins importante qu’à l’époque.

Et penchons-nous sur nos bols de lait. Ce lait de vache ayant pris pour cible un public familial et mis en avant par la médecine comme une source de calcium irremplaçable, sérum de croissance essentiel et absolument central au bon développement osseux. Pourtant, les populations qui consomment le plus de lait sont les plus prônes aux fractures. Nous savons que chaque espèce a un lait qui lui est propre et adapté, et surtout, n’en produit pas n’importe quand. Le lait de vache que nous buvons, s’il contient bien évidemment des nutriments, contient surtout du pus (effet irritant et infectieux de la tire constante), des graisses saturées, et tous les éléments hormonaux permettant à un petit veau de se développer en une vache adulte, ceci en l’espace de quelques mois. Cette combinaison hormonale, que l’on sait peu digeste pour les humains, ne fait que sur-stimuler le développement et la régénération de nos cellules, processus clé dans l’apparition des cancers. Il y a corrélation prouvée entre le lait de vache et le cancer de la prostate, et fortement suspectée dans le cas de cancers du sein et autres. Le pourcentage d’intolérance au lactose selon les ethnies et régions géographiques démontre comment l’organisme des populations caucasiennes, qui consomment depuis longtemps le plus de produits laitiers, y est plus habitué, les taux d’intolérance allant de 5 % à ~ 65 % selon nos régions européennes. Quant aux populations asiatiques, indigènes d’Amérique du Nord, africaines, afro-américaines ou indiennes du sud, les taux vont d’un minimum de 70 % à un maximum de 100 % dans le cas de l’Asie de l’Est⁷. Exemple classique de racisme systémique : la médecine occidentale prône que le lait serait «bon pour la santé», alors que celui-ci est à peine digeste pour la moitié des personnes caucasiennes, et simplement indigeste pour les minorités qu’elle ne prend pas en compte.

Mais pourquoi ne plus participer au viol des vaches quand on peut simplement avaler une pilule ? Et puis tirer le lait à une vache, ce n’est pas la tuer non ? Pire je dirais. Ce sont ces vaches laitières que l’on insémine pour les séparer très vite de leurs veaux à la naissance avant que celui-ci se mette à téter le lait convoité de sa mère qui n’a parfois même pas terminé de lécher son petit pour le nettoyer avant que celui-ci soit attrapé et envoyé à l’abattoir. Sa mère, elle, s’écroulera de fatigue après 3 à 5 ans de cycle infernal ou on n’aura cessé de l’inséminer, lui enlever son petit, lui tirer son lait. On la ramasse au bulldozer et on l’abat, car elle n’a plus d’utilité… elle aurait pourtant pu vivre jusqu’à 20 ans. C’est pour cette raison et plus que l’argument végétarien ne tient pas, les cadavres s’empileraient tout de même. On pourrait même argumenter qu’une vache qui subit ces tortures durant plusieurs années avant de mourir aura connu un sort plus triste qu’un veau qui aura été « simplement » abattu. Et toutes les personnes concerné.e.x.s par la reproduction et la lactation qui sont pour le droit de disposer de leur propre corps devraient voir en quoi le geste de la traite, aussi innocent ait-il pu nous paraître, n’est pas anodin, et en dit long sur l’étendue de la volonté des dominants à comprendre le principe d’autonomie sexuelle. Je reste hantée par les termes employés dans la description qui suit:

« Travailleuse et discrète selon ses propriétaires, Aftershock 3918, vache Prim’Holstein américaine, a établi le nouveau record des États-Unis de production laitière en un an. La précédente marque s’établissait à 351,44 kg. Plus de 97 kg de lait produits par jour en moyenne ». 

Paternalisme, objectification et exploitation : voilà ce qui déborde de ce commentaire, et de tout bol de lait.


7. ÉTHIQUETTE

La plupart des produits au label « Vegan » – macaron qui fait de plus en plus son apparition en magasin – n’ont pas lieu de s’appeler ainsi.
Une demande grandissante a engendré une appropriation de ce label par des grandes marques produisant des article à base de POA mais souhaitant proposer une alternative végétale. Celles-ci ne sont pas véganes si la marque en question ne fait que profiter d’un marché sans éliminer sa production à base de POA. Il existe bien des marques dont l’entièreté de la conception est végétalienne. Cependant, peut-on dire d’un produit ultra-transformé sous emballage plastique qu’il est « Vegan » alors que cet emballage finira dans nos océans et contribuera en partie à la pollution responsable de la mort d’espèces sous-marines ? Non.
Faute de choix, devons-nous donc renoncer à l’achat d’un produit d’origine végétale sous plastique pour celui d’un POA sous plastique simplement parce que le premier s’avère ne pas être éthique après tout? Non.
Si nos produits n’arrivent simplement pas à se débarrasser de toute la chaîne de violence, c’est que nos systèmes et nos gouvernements fonctionnent de telle sorte qu’il nous est aujourd’hui impossible de faire collectivement un choix «éthique». On peut réduire pour mille et une raison sa consommation de produits ultra-transformés, végétaux inclus, mais pour qui est forcé de faire ses achats en grande surface, difficile de passer à côté du fait que la plupart de nos fruits et légumes son emballés eux aussi sous plastique et sont accessoirement souvent récoltés par des personnes elleux-mêmes exploité.e.x.s. Une définition standard du véganisme viserait-elle donc une population dont le statut économique et géographique permette le privilège de pouvoir se fournir uniquement en vrac, ou au marché, de produits végétaux, bio, locaux, de saison, sans plastique? Non.
Mon véganisme est modelé autour de mon salaire et mes options occidentales. Il y a parmi nous des personnes qui n’ont pas le privilège – non pas financier car manger végane ne coûte pas forcément plus cher qu’un régime omnivore en Suisse – mais simplement le privilège de contempler les questions écologiques, philosophiques et sociologiques que nous avons regroupées. Privilège ou pas, il est important de faire sa part, dans la mesure de ses moyens, peu importe ce que cette part implique aujourd’hui. Mais il est surtout important de continuer à questionner, car sous un régime capitaliste et son clivage des richesses, le.a parfait.e.x consommateur.ice.x n’existe pas, et nos communautés moins aisées ne sont pas à blâmer


8. AURÉLIX VOUS RACONTE « LE PETIT PRODUCTEUR » et « TOUT EN MODÉRATION »

Toutes les mesures référencées sous cette section tant géographiques que statistiques sont disponibles sur le site de l’OFSP

Je souhaiterais à présent désacraliser un mythe dont la paresse me donne des maux de têtes. Mes ami.e.x.s omnivores les plus bienpensant.e.x.s m’ont expliqué la vision derrière leur pratique de consommation de viande selon iels exemplaire car locale, modérée et non-aliénante (iels n’abattent pourtant pas l’animal elleux même mais soit) via un concept appelé le « crowdbutchering ».
Il consiste en la commande en ligne d’un animal Suisse entier chez un petit boucher. Chacun.e.x. réserve sa part, qui n’est livrée qu’une fois que l’animal a été partagé à 100 %. Pour une vache, la répartition se fait entre ~30 personnes. On connaît la provenance et parfois même le nom de l’animal, qui n’aurait connu de son vivant ni maltraitance, ni enfermement. Mes amie.x.s me disent stocker leur unique commande annuelle au congélateur et se rationner ainsi pour une année entière. Le concept honorerait la bête à travers sa vie et sa mort car on y mange aussi bien sa viande que ses abats, sa langue ou son museau, n’y laissant aucune perte. La vache, dit-on, aurait été abattue humainement (comme si ces mots n’étaient pas des antonymes par principe).
Sur ce modèle, que je valide comme extrêmement modéré, car il n’impliquerait qu’une consommation annuelle d’un trentième de vache, soit 8kg par personne, ce qui équivaudrait à manger de la viande une fois tous les 3 mois et quelques, contre la réelle consommation moyenne annuelle suisse par habitant.e.x de :

  • 12kg de bœuf
  • 48kg de viande toute confondue
  • 9kg de poisson et crustacés
  • et un colossal 235kg de lait et produits laitiers !

Prenons cet exemple combinant le « tout en modération » et le « petit producteur », faisons un calcul ou chaque citoyen.ne.x.s suisse s’impliquerait dans une consommation similaire, et voyons si la modération est réellement une solution viable ou si elle n’est pas simplement un concept élitiste et déresponsabilisant :

La Suisse compte actuellement 8.5 millions d’habitant.e.x.s

Les normes d’élevage intensif suisses accordent aux vaches un minimum d’environs 10m² par animal.

En imaginant que mes ami.e.x.s omnivores qui dénoncent ces conditions ne donneraient pas moins de 50m² (limite du raisonnable) à chaque vache qu’iels crowdbutchent. Le calcul pour 8.5 millions d’habitant.e.x.s, ne consommant annuellement qu’un trentième d’une vache qui aurait possédé de 50m2 de son vivant pour brouter joyeusement est simple :

La Suisse à une superficie totale de 41’285 km²

Les zones urbaines occupent 10’321 km²

Ses forêts et espaces boisés 12’386 km²

Ses surfaces dites «improductives» (non végétalisées cours d’eau, sommets, glaciers etc.) occupent 10’322 km²

Allô les bobos, posez vos couteaux ! Cela vous laisse moins de 8’000 km² de territoire pour mettre vos vaches
suisses contre les 14’167km² qu’elles nécessiteraient !

Et je n’ai pas soustrait à notre calcul d’autres sites d’importance nationale servant à la préservation de la biodiversité dont la conservation intacte est inscrite dans la loi, ou encore nos infrastructures, chemins de fers, routes, etc. Alors que fait-on ? On prend le joker de l’ironie, et on me répond que mon calcul n’est pas juste car je n’ai pas déduit à la population suisse son nombre de personnes végétariennes, véganes et en très bas âge ! Ce à quoi je dis que hormis l’audace d’insinuer que mon véganisme servirait à permettre votre consommation de viande, vous pouvez bien déduire ce que vous voudrez de mon calcul où les vaches débordent déjà bien au-delà de nos frontières, bonne chance pour y faire rentrer « humainement » tout autre animal d’élevage, cochon, poule, mouton etc. ou encore même d’y trouver un espace pour faire pousser les fruits, légumes, céréales, légumineuses et fleurs, aliments eux primordiaux à notre santé.

Alors quoi ? On met nos vaches sur Mars avec l’aide d’Elon Musk peut-être.

Non me dit-on… ne mangeons qu’un deuxcentième d’un animal aléatoire par année et rien d’autre ! Ce à quoi je dis à quoi bon ? À quoi bon persévérer à inclure la mort non essentielle d’un animal dans votre mythologie simplement pour me prouver que dans un cas de figure cela vous est possible – ce qui nous ramène au principe fondamentalement capitaliste du « pouvoir » triomphant sur le « devoir » et ceci à l’aide d’un exemple pourtant tellement lointain de la réalité actuelle de votre consommation.

Alors chassons me dit-on. C’est moins aliénant et visiblement nécessaire au bon maintient de la « chaîne alimentaire naturelle » dont l’humain serait à la tête. Eh bien techniquement non l’humain n’est pas « à la tête » de cette chaîne. Sans armes de tir – dans le cas des chasseur.euse.x.s armé.e.x.s les plus sobrement – ou munis de tout un attirail qui déséquilibre le principe même de la chasse dans le cas des plus armé.e.x.s – l’humain ne ferait souvent pas le poids devant l’animal qu’iel chasse. Et les autres espèces de la chaîne alimentaire, carnivores ou omnivores, se nourrissent par nécessité et ne tuent pas à des fins récréationnelles. On justifie la chasse au sanglier sauvage, espèce hyper-productive, comme exemple symbolique de chaîne alimentaire naturelle devant être maintenue, sans voir que c’est bien nous qui l’avons déséquilibrée en premier lieu en tuant massivement certains prédateurs carnivores et autres maillons de la chaîne, et en déboisant nos terres, nous forçant ainsi à partager un périmètre plus serré avec ces animaux qui eux prolifèrent plus aisément. Sans parler d’une tendance sous-jacente au problème des sangliers, cité dans le journal français Science et Vie :

 «Les fédérations de chasseurs tentent d'intensifier l'effort de chasse, mais certains de leurs membres sont tellement attachés à cette proie qu'ils vont jusqu'à entretenir artificiellement des populations en les nourrissant.» 

et parfois même en les faisant se reproduire…
Cette chaîne, n’a actuellement plus rien de « naturelle » et ceci par notre faute. La citer relève donc de la plus haute hypocrisie. Sur ce principe, j’appelle à mes ami.e.x.s chasseur.euse.x.s de faire avec leur conscience, leurs moyens et mesures de nécessité, mais de regarder au-delà de leur point de mire et encore une fois, de penser au-delà de la tradition.

Partout où l’on cherche, on se heurte à la même problématique, l’intervention humaine à causé un monstrueux déséquilibre, et à présent il n’y a plus de solution parfaitement non violente pour le gérer. Nous avons importé nos animaux de compagnie carnivores qui se sont multipliés et comptent à présent sur nous pour les nourrir, nous les castrons pour ne pas les tuer lorsque leur nombre dépasse nos moyens mais préférons tout de même participer à la culture de l’élevage en les achetant outre-frontières, parce qu’on veut un chien ou chat qui ressemble absolument à ci ou ça, plutôt que de recueillir à la SPA des animaux dans le besoin. On préfère l’élitisme et l’esthétisme à l’urgence et au besoin. Et on préfère surtout ne pas trop se demander comment on en est arrivé là.

J’aimerais clore cette article par la citation suivante sur laquelle je vous invite à méditer avec moi. Peut-être qu’en commençant à accorder nos consciences et déroger à nos mythologies, les générations futures pourrons rendre aux animaux, non pas simplement leur droit à la vie, mais à une vie qui redonne sa juste valeur à la condition d’être vivant.

« Tout le monde sait qu’on ne peut pas discuter de la mythologie d’autrui. Pourtant, voilà exactement ce que fait l’éveil des consciences. Il conteste les mythologies sur lesquelles on nous a appris à nous modeler jusqu’à ce que nous en arrivions soudainement à voir la même chose d’une manière différente. C’est à ce moment qu’un fait, devient une contradiction. »

Carol J. Adams

J’aimerais dédier cet article aux

77,5 millions d’animaux abattus en Suisse chaque année

500 mille animaux testés en laboratoires suisses chaque année

1000 milliards d’animaux marins

67 milliards d’animaux terrestres

tués chaque année à travers le monde

simplement car le monde le peut


Sources :

¹ https://3209a1b2-3bad-4874-bf51-8fc2702ffa6c.filesusr.com/ugd/8654c5_5bdb63b57c6b4abaa7f7b9041f7b8487.pdf
² https://baltimorepostexaminer.com/carnivores-need-vitamin-b12-supplements/2013/10/30
³ https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/agriculture-sylviculture/agriculture/production-aspects-financiers.html
https://www.asso-pea.ch/fr/news/initiative-federale-cest-parti-pour-la-recolte/
https://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/detecteur-rumeurs/2017/03/22/4500-litres-eau-steak-vrai
https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2008/416/fr#a16
http://www.ciriha.org/index.php/alimentation-equilibree/54-ciriha-fr/allergies-et-intolerances/dossier-scientifique/tableaux/77-pourcentage-de-l-intolerance-au-lactose-selon-les-regions-geographiques